[English version below]
Anne Guillou travaille depuis une dizaine d’années sur les traces laissées par le régime khmer rouge (1975-1979) au Cambodge. Sur la base d’une ethnographie villageoise, elle met en évidence les formes non discursives de la mémoire (notamment à travers les rituels, funéraires et autres) et les processus de localisation de cette mémoire (lieux puissants). En élargissant la focale aux échelles nationale et internationale (commémoration d’Etat, Tribunal des Khmers Rouges sous tutelle onusienne de 2007 à aujourd’hui, rôle de la diaspora), Anne Guillou montre l’importance de la temporalité dans les processus mémoriels ainsi que les implications idéologiques et (géo)politiques des différents régimes de mémoire − parfois conflictuels.
Ses travaux portent de façon concomitante sur l’animisme khmer et plus largement sud-est asiatique ; le bouddhisme dans son articulation de plus en plus problématique aux cultes des esprits tutélaires de territoire ; les changements du champ religieux et ce que cela nous dit de la société cambodgienne actuelle dans son ensemble.
Auparavant, Anne Guillou a effectué des recherches en anthropologie de la maladie et de la médecine dans la diaspora cambodgienne en France (1985 à 1990) puis au Cambodge (1990 à 2005). Elle a également mené des enquêtes sur les pratiques de santé et de maladie en contexte migratoire chez les Cambodgiens mais aussi d’autres migrants plus récents.
Elle a coréalisé une vaste enquête de terrain sur les migrations turques en Bretagne et le poids du local dans les formes différenciées d’intégration (comparaison des formes d’intégration dans trois villes différentes).
For ten years, Anne Guillou has been studying the traces left by the Khmer Rouge regime (1975-1979) in Cambodia. Based on her ethnographic field work in a village in western Cambodia, she highlights non narrative forms of memory – particularly those expressed through rituals including death rituals – and processes of localization of memory (especially memory embodied in potent places). In her analyses she includes broader scales (state commemorative events, the Khmer Rouge tribunal under UN supervision since 2007, the role played by the Cambodian diaspora). By doing so, Anne Guillou shows the crucial importance of temporality and time in the making of collective memory as well as the weight of various ideologies and changing geopolitics in the building of different – and sometimes conflicting – systems of collective memory.
Concomitantly, she works on Khmer and Southeast Asian animism; Buddhism and its (increasingly problematic) connections with cults to tutelary spirits of the land; changes in the religious field and how those changes help understand today’s Cambodian society as a whole.
Anne Guillou has formerly carried out research in medical anthropology first among the Cambodian diaspora in France (1985-1990) and then in Cambodia (1990-2005). She has also conducted field work on health care practices among Cambodians and other newcomers in France.
She has done a one-year investigation (in association) on Turkish migration in Brittany with a special focus on the factors of integration playing at local level (comparison of different forms of integration in three towns).
Présidente de l'European Association for Southeast Asian Studies (Euroseas) (depuis juillet 2022)
Membre du Conseil National des Universités, section 20 (2020-2023)
Directrice de la Maison des Sciences de l'Homme Mondes, Nanterre (2020-2022)
Membre du Conseil scientifique de l’IRASEC (UMIFRE CNRS-MAEDI) (depuis 2017)
Membre du Comité de pilotage des Journées de la Recherche France-Cambodge (mars 2018), Ambassade de France au Cambodge (2017-2018)
Membre nommée de la section 38 au Comité national de la recherche scientifique du CNRS (mandat 2008-2012)
Membre du Conseil scientifique du projet de coopération franco-cambodgien Manusastra (CNRS, IRD, INALCO...) (2012-2014)
Membre du Comité scientifique du Congrès de l’association de psychiatres PsyCause, Siem Reap, Cambodge (2012)
Membre du Conseil scientifique de l’Institut des Humanités de Paris (2012)
Présidente du conseil scientifique du 4e Congrès des études et recherches sur l’Asie et le Pacifique, septembre 2011, Réseau Asie et Pacifique (2010-2011)
Rédactrice-en-chef (avec C. Scornet) de Moussons. Recherches en sciences sociales sur l'Asie du Sud-Est (depuis 2023)
Membre du comité éditorial de Moussons. Recherches en sciences sociales sur l'Asie du Sud-Est (2019-2023)
Membre du comité de rédaction de Human Remains and Violence: An Interdisciplinary Journal by Manchester University Press (depuis 2015)
Présidente de l’Association française pour la recherche sur l’Asie du Sud-Est (2012-2015) http://www.afrase.org/
Membre du Conseil de laboratoire de l’Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine (UMIFRE CNRS-MEAE) (2015-2018)
Membre du Conseil de laboratoire du Centre Asie du Sud-Est (UMR CNRS-EHESS) (2006-2015)
Inscrite sur la liste d’experts de l’ONU dans le procès n°2 du « Tribunal des Khmers Rouges » (Chambres Extraordinaires auprès des Tribunaux Cambodgiens) (2011-2012)
Représentante de la France au Bureau de la European Association for South-East Asian Studies (EUROSEAS) (2007-2012)
Membre du Comité de Liaison et de Travail pour l’Anthropologie en France (travaux préparatoires à la constitution de l'AFEA) (2007-2009)
Cours magistral « Interactions dans la péninsule indochinoise », Licence 3, Département d'Anthropologie, Université Paris Nanterre. 24 h annuels, 2018-2020.
Cours magistral « Anthropologie de l’Asie du Sud-Est », Formation intensive pluridisciplinaire Master et Doctorat « Les sciences sociales et l’Asie du Sud-Est », durée 1 semaine, Paris, INALCO, org. Manuelle Franck. 2 h annuels, 2013-2024.
2012-2015, Integration in Southeast Asia: Trajectories of Inclusion, Dynamics of Exclusion, 7e PCRD européen. University of Hamburg - Germany ; Magdalene College, University of Cambridge - UK ; University of Tallinn - Estonia ; University of Milano-Bicocca - Italy ; University Sains Malaysia - Malaysia ; University of Gadjah Mada - Indonesia ; University of Chiang Mai -Thailand ; Vietnamese Academy of Social Sciences - Vietnam. http://www.seatide.eu/?content=home
2012-2016, Corpses Of Mass Violence and Genocide, Grant (Stg n° 283-617) of the European Research Council. EHESS; Univ. of Manchester (UK), The University of Groningen (Netherlands). http://www.corpsesofmassviolence.eu/
2011-2014, Local Traditions and World Religions :The Appropriation of “Religion” in Southeast Asia and Beyond, Programme ANR franco-allemand. Centre Asie du Sud-Est (UMR CNRS-EHESS-INALCO); Institut für Ethnologie, Universität Heidelberg
Sept anthropologues se réunissent pour parler ensemble de la notion de nostalgie. Chacune d’entre elles, à sa manière, se retrouve confrontée à ce sentiment profondément ambivalent à mesure qu’elle pressent ou assiste à la disparition de son « terrain », ce territoire d’étude au long cours propre à chaque anthropologue. Mais d’où cette nostalgie peut-elle bien venir ? Est-elle légitime ? Et si, parfois, les anthropologues avaient de bonnes raisons d’être nostalgiques ? Tels les canaris au fond de la mine, sentiraient-elles « venir le grisou » ? Pour tenter de répondre à ces questions, elles ont choisi de faire un pas de côté par rapport à leur pratique habituelle : en optant pour la fiction, en renouant avec l’écriture créative, en faisant appel à leurs souvenirs, leurs lectures, et en mettant à l’épreuve leur subjectivité.
Aux prémices de cette recherche, il y a le Cambodge de 1990, la souffrance étouffée dans les salles délabrées des hôpitaux, les infirmeries surchauffées où viennent attendre pendant des heures des malades incertains, des médecins distants et hautains avec les patients, qui se débrouillent au quotidien pour joindre les deux bouts, des humanitaires occidentaux séduits par le pays mais critiques puis découragés face aux pratiques médicales qu'ils découvrent. Les premières questions de cette recherche ont surgi de cette incompréhension exprimée par des humanitaires qui cherchaient dans la culture cambodgienne les clés de leurs difficultés à plier médecins et hôpitaux cambodgiens à des standards professionnels garantissant la qualité des soins. Ce livre cherche à comprendre comment la médecine scientifique occidentale, tout à la fois représentation du monde, savoir, pratique et éthique à prétention universaliste, s'intègre et prend sens dans un contexte social autre que celui où elle est née, la société cambodgienne. Cela signifie observer le processus de "production" de ces nouveaux acteurs sociaux que sont les médecins cambodgiens. Le statut social des médecins de formation scientifique trouve ses racines dans la société globale, structurée par les rapports entre les trois grands groupes sociaux que sont les fonctionnaires, les commerçants et les paysans. Les médecins de formation scientifique ont dû inventer une identité qui, comme toutes les identités, se forme dans le double mouvement d'une construction interne au groupe et d'une assignation extérieure, dans laquelle les patients et leurs représentations collectives jouent un rôle de premier plan, par le choix de leur recours, leurs attentes particulières à l'égard des biomédecins, et les représentations qu'ils en ont. La place qu'occupent les médecins de formation scientifique dans l'offre thérapeutique et sanitaire globale au Cambodge, aux côtés d'autres praticiens, kru khmaer, moines, mediums... contribue également à définir leur statut et leur identité car ils participent d'univers socio-économiques, symboliques, techniques plus ou moins proches et se définissent ou sont définis les uns par rapport aux autres. Un dernier acteur fondamental du développement des médecins au Cambodge est l'Etat, omniprésent dans la formation du corps médical depuis le Protectorat français (1863), malgré une pratique médicale privée parallèle plus ou moins tolérée selon les époques. De plus, des ruptures brutales, dont la plus sanglante a été l'œuvre du régime totalitaire "khmer rouge" (1975-1979), ont balayé plusieurs fois cet Etat, les gouvernements et les individus, aboutissant à des recompositions sociales partielles et à des reconstructions de systèmes de santé sur des modèles idéologiques variés. Il était donc nécessaire de prendre en compte cette histoire et de ne pas s'arrêter à la période actuelle. D'autant que ces bouleversements politiques et sociaux ont été associés à des actions et à des pressions étrangères intenses. Le Cambodge, petit pays entouré de ses puissants voisins thaïlandais et vietnamien, eux-mêmes relayés par des puissances plus grandes encore – Chine, Etats-Unis, URSS, France selon les époques, se trouve pris depuis des siècles dans la dialectique acceptation-rejet-aménagement de ces influences culturelles (au sens large), dont la plus récente est l'aide "humanitaire" internationale. Les informations qui alimentent ce livre ont été recueillies, pour l'essentiel, lors d'un séjour ininterrompu de quatre ans au Cambodge, de septembre 1990 à septembre 1994, dans un pays encore fermé à l'Occident et en proie à la guérilla khmère rouge qui ne s'est éteinte définitivement qu'en 1998. Elles reposent sur des entretiens avec des médecins, des observations participantes de la vie hospitalière dans plusieurs hôpitaux et dispensaires du Cambodge et des camps de réfugiés de Thaïlande (dont Site 8, le camp khmer rouge), des enquêtes auprès des autres spécialistes de soins et enfin, sur le dépouillement d'archives et de documents coloniaux et post-coloniaux.
Pourquoi les jeunes Turcs de Quimper travaillent-ils mieux à l'école que ceux de Rennes, alors que ces deux villes bretonnes sont distantes de deux cents kilomètres seulement ? Comment expliquer que les Alévis (minorité turque chiite) de Narbonne se sentent plus alévis que ceux d'Ankara, pourtant originaires du même village d'Anatolie centrale ? En un mot, pourquoi et comment on n'est pas Turc de la même manière à Berlin, à Cologne ou en Alsace-Moselle ? Tel est le type de questions à l'origine de cet ouvrage collectif. A partir d'enquêtes de terrain de longue durée, douze chercheurs en sciences sociales et acteurs de terrain réfléchissent ensemble à cet aspect peu exploré des migrations internationales : l'influence des sociétés locales d'accueil - qu'il s'agisse de quartiers, de villes, de départements, de " pays " - sur les configurations migratoires. Les exemples sont pris dans plusieurs pays européens (Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas) ainsi qu'au Québec et dans différentes régions de France, dont la Bretagne. Ce panorama permet de cerner le poids du local à trois niveaux : sur les associations ethniques, les identités ethniques et les réseaux migratoires mondiaux. Au-delà des particularités des populations immigrées elles-mêmes, quels sont finalement les éléments du local qui rendent si différent un Turc de Vannes d'un Turc de Liège ou d'ailleurs ? Une série de facteurs ressortent progressivement de la lecture des textes qui se répondent les uns les autres : la législation, notamment en matière de culte religieux, les formes de gouvernementalité locales (plus autonomes en Grande-Bretagne qu'en France par exemple), les liens noués entre municipalités et associations ethniques, l'implantation de la presse ethnique, l'état du marché de l'emploi, le prix du foncier, etc. Entre la dimension planétaire des mouvements migratoires et les politiques nationales d'immigration, ce livre montre que le local et le micro-local restent un enjeu majeur de l'insertion des immigrés.
The author eamines in a non academic manner, three recent pieces of litterature and cinema produced by young Cambodians whom parents are refugees in the USA and France. The two books and the short film presented in the note speak about the intimate though distant relationship with their parents’ culture, their painful past as well as the artists’ own place in this (his)story. The writing is inventive and uncompromising and adress the issue of the unspeakable burden that the film maker and the two writers carry on their own shoulders.
L’auteur examine les différentes phases de la mort en milieu khmer, au Cambodge, où le bouddhisme theravada officiellement pratiqué est nourri d’un ancien fonds animiste. La mort y est perçue comme une transition plutôt qu’une rupture finale. L’importance fondamentale de la terre et, à un moindre degré, de l’eau et du feu, est soulignée concernant les rituels funéraires. L’article décrit la « carrière du mort » c’est-à-dire les phases rituellement construites qui jalonnent la transformation du cadavre en défunt puis en ancêtre. Cette « carrière » est parallèle au processus de deuil des vivants et structure celui-ci. Plus encore, la présence des défunts dans la communauté et leur commerce avec les humains obéissent à des règles précises, de façon à ce qu’une relation structurée, non invasive, s’établisse. La dernière partie de l’article évoque le cas des victimes du régime khmer rouge (1975-1979) qui disposent d’un statut que les Khmers n’assimilent pas à celui des morts de malemort traditionnels.
In April 1998, Pol Pot, the dictator who had been overthrown by his own movement one year earlier, died on the forest plateau of Anlong Veng, near the Thai border, to which the Khmer Rouge had gradually retreated in the 1990s. A modest tomb was erected there, on the very spot where he was cremated. Drawing on fieldwork carried out in October–November 2011, this contribution describes the strange aura which surrounds Pol Pot’s tomb. The latter is the focus of funerary practices unusual in Cambodia, the historical reasons for which are examined in detail. It will be shown that the perpetrator continues to exert an almost supernatural hold over this last bastion of the Khmer Rouge, influencing the ideological and the military, the ritual and the religious spheres alike.
Cambodia is strewn with places of national, local or, most frequently, village importance, considered as potent places, that is to say, places that are said to have agency and a positive or negative power of interaction with human beings. This paper emphasises the constituent principles of potency using case studies based on ethnographic research conducted between 2007 and 2015 in Pursat province, western Cambodia. Beginning with the analysis of the sanctuary of a powerful land guardian spirit called Khleang Muang, the author progressively guides the reader to all the potent places that form a network which spatially tells the legend of the sixteenth-century Khmer King Ang Chan who passed by Pursat, coming from Angkor and settled in Lovek (south of Tonle Sap Lake). Violent death and sacrifices, rituals, spiritual energy called paramī, old buildings, monasteries, precious tableware kept in the soil, trees, stones, termite mounds … all those constituents of the potency of the places are analysed. The author’s discussion of the core of potency (pāramī and paramī) enables her to show how Buddhism and land guardian spirit cults are entangled in a single still hierarchical religious system. Finally, the author analyses how potent places in Cambodia embody a process of localisation of the nation-level institution of monarchy.
Commenting on sociologist Maurice Halbwach’s (1925) influential theoretical essay on memory, Paul Connerton declared that continuing to speak of "collective memory" required recognition that the term subsumed "quite simply facts of communication between individuals." (Connerton 2010: 38
Since the Khmer Rouge genocide (1975–79), Cambodia has been constructed as a victim par excellence, which exists only through Western financial aid and compassion. In this ideological context, non-governmental organizations (NGOs) mushroomed by the hundreds in the 1980s in the refugee camps along the Cambodia–Thailand border. They then flowed into Cambodia during the repatriation process under UNHCR supervision in the early 1990s. Because of the financial weakness of the Cambodian government at that time (when support from the USSR and other socialist countries abruptly ceased), the NGOs gained a powerful position as institutional partners of the government. Taking the example of the medical sector, this article analyses humanitarian ideology and its implementation in Cambodian hospitals in the 1990s. The author explores the contradiction between the Westerners' ‘philosophy of development’ versus the Cambodians' ‘ethic of gift’, based on an ethnographical account of the daily activities in Cambodian hospitals, from an interactionist perspective. The author observes the interactions between the Cambodian staff, the humanitarian NGO staff, the patients and their families, showing how the divergence of moral values, the historical construction of the medical profession and social games create conflict between the humanitarians and the Cambodians. This has a direct impact on the patient–physician relationship. Finally, while millions of dollars and thousands of hours of humanitarian work have been spent in Cambodia, some major public health indices have not been greatly improved.
This article contrasts the ways in which the memories of the Khmer Rouge genocide have been constructed at different levels and at different periods since the 1980s. Various actors have been involved in this construction, such as the ruling Cambodian People's Party, the Khmer Rouge Court sponsored by the United Nations since 2007, and Cambodian villagers. This has led to numerous misunderstandings and discrepancies regarding the trial of the former Khmer Rouge leaders. The current research is based on ethnographic fieldwork undertaken in a village in the province of Pursat. It shows how the villagers have taken care of the human remains from the state-sponsored memorials and of the mass graves (that is to say, of the unknown bodies). The article shows how the Khmer popular religious system is instrumental in forging a memory of the dead of the Pol Pot regime and in healing social suffering.
Cet article, sous forme de bilan et perspectives, retrace la constitution progressive d'un champ de recherche spécifique : celui de la santé, de la maladie et des soins, envisagé ici principalement du point de vue historique et anthropologique. En identifiant les courants de ce champ assez récent, l’article souligne les « moments scientifiques » significatifs, évoque les thématiques privilégiées, l'évolution des problématiques ainsi que les principales avancées en Asie du Sud-Est. Cette aire géographique se révèle relativement peu explorée. Découpé de façon à la fois chronologique et thématique en référant à des ouvrages-clés, l’article montre l’étendue et la richesse des questionnements, comme le dynamisme de la discipline.
L’article se donne deux objectifs. Il s’inscrit d’abord dans une réflexion globale sur la façon dont les événements sociaux « prennent corps », s’inscrivent dans les corps. À travers l’exemple des enfants des rues cambodgiens, il tente ainsi de reconstituer la chaîne des événements individuels, entraînés par des destins collectifs, qui amènent certains enfants (et pas d’autres) à se trouver particulièrement exposés à l’infection au VIH. Deuxièmement, l’article est une occasion de réfléchir sur les enjeux de l’enquête, élaborée dans le cadre d’une recherche-action dont la population et la problématique ont été définies en négociation avec des acteurs de l’aide humanitaire et du développement. Il aborde ainsi en filigrane les tensions entre protection globale de l’enfance et pratique locale de la recherche anthropologique. L’analyse est développée sur la base d’une enquête, menée auprès de cent quatre enfants des rues de Phnom Penh, interviewés en 1999. Le texte décrit les carrières des enfants, très différenciées selon le genre. Il s’intéresse en particulier à leur vie amoureuse et sexuelle, notamment la prostitution, dont la totalité des filles interviewées ont fait leur revenu principal et certains garçons leur revenu d’appoint.
Essai futurologique autour du sanctuaire de Khleang Muang, un esprit tutélaire important dont le sanctuaire se situe dans l'ouest du Cambodge.
L'objectif est de comprendre comment se transforment les rôles sexués des couples cambodgiens dans les années 1990, sous l'effet des changements brutaux et profonds qui touchent la société cambodgienne depuis vingt ans, en particulier l'épidémie du Sida – à la fois transformatrice de pratiques et révélatrices de mutations. L'idée de départ était que les femmes urbaines, instruites, occupant des fonctions politiques ou associatives étaient les plus susceptibles d'œuvrer à la promotion des femmes. L'analyse se base donc essentiellement sur les interviews de l'auteur avec 47 de ces femmes (en khmer), surtout à Phnom Penh, en avril-juin 1999. L'article débute par une présentation du contexte socio-politique de lutte contre l'épidémie du Sida, lutte timidement commencée puis sérieusement menée. Le texte se poursuit avec l'apparition du débat public sur la prostitution féminine (jugée responsable de l'évolution de l'épidémie du Sida), entre réticences et pragmatisme. Parallèlement, la place des organisation féminines, partis politiques et ONG, est décrite, ainsi que leurs discours mettant en avant l'échec de la politique masculine et l'évocation des temps ancestraux où les femmes étaient aux commandes. Que disent ce femmes interviewées sur les statuts et les rôles socio-sexués cambodgiens, en particulier au sein des couples ? Avec une ferveur militante et une belle unanimité, toutes estiment que le statut social des femmes cambodgiennes est trop bas ; cantonnées qu'elles sont aux travaux domestiques et à la satisfaction du confort de leur époux et de leurs enfants, elles sont soumises au "pouvoir du riz", détenu par l'époux. Mais les femmes sont en réalité, disent-elles, de plus en plus pourvoyeuses de revenus dans une société en crise économique, en même temps que les qualités masculines traditionnelles (sens des responsabilités familiales) se délitent, faisant peser un poids de plus en plus lourd sur les épaules des femmes. Les interviewées prônent l'instruction et le travail salarié comme moyens de promotion de la femme cambodgienne. Mais dès que l'on aborde la sexualité conjugale, le ton des entretiens est à l'impuissance et au fatalisme. La sexualité masculine est en effet vue comme relevant de la "nature" (exigeante, irrépressible) quand celle de la femme, gardienne du foyer, relève de la "culture". La nature volage des maris suscite une certaine indifférence dans la mesure où il ne met pas en danger l'association conjugale, dans ses fonctions économiques et reproductives en particulier (entretien d'une maîtresse, contamination par le VIH). Capables, par leurs qualité de douceur, de résignation, de fidélité, disent les interviewées, d'assurer la pérennité du mariage, les femmes s'estiment ainsi être les reflets des caractéristiques ethnico-nationales typiquement khmères et, au-delà, les garantes de l'identité nationale. Le "principe de coupure" de Bastide décrivant des individus dans des contextes d'acculturation rapide, s'applique donc parfaitement aux femmes instruites et urbaines du Cambodge : leurs actions obéissent au double impératif de construire une identité féminine à la fois "moderne" et "khmère", en maintenant une séparation nette entre leur pleine intégration socio-économique et leur rôle de gardienne de l'union conjugale, de la culture, de la nation.
L'article examine en détail la façon dont le système de nomination khmer inscrit l'individu dans ses différents groupes d'appartenance mais aussi dans ses rapports avec le destin et, plus généralement, avec le monde surnaturel. Les Cambodgiens (roturiers laïcs) disposent de plusieurs noms personnels selon les sphères, organisées en cercles concentriques, dans lesquelles ils évoluent quotidiennement. La dation du nom intègre progressivement l'enfant au monde social et à l'histoire familiale. C'est ce nom personnel qui l'identifiera dans la société globale cambodgienne ainsi qu'auprès de l'administration. C'est pourquoi nous l'appellerons nom personnel officiel. La forme de celui-ci apparaît comme une marque de statut social, selon un code très ancien (dès le 6ème s. AD) que réactualisent aujourd'hui les élites en cours d'émergence ; code lié à l'origine pali et à la longueur de ce nom. Le nom personnel officiel est également porteur d'une surabondance sémantique et d'une recherche euphonique très prisées des Cambodgiens. Au moment de l'inscription sur les registres de l'état civil, les Cambodgiens doivent par ailleurs déclarer un "patronyme" dont le principe a été introduit par le Protectorat français dans un système de nomination où la notion de nom de famille transmis de génération en génération est traditionnellement absente. De fait, les « patronymes » des enfants d'aujourd'hui sont constitués la plupart du temps, soit en prenant le « patronyme » du père, soit en prenant le nom personnel officiel du père, soit encore en prenant le « patronyme » de la mère. Les familiers — collègues, camarades de classe, certains voisins — utilisent quant à eux un diminutif qui a pour base le nom personnel officiel. Enfin, les Cambodgiens sont souvent désignés d'un surnom dans le cercle restreint de la famille et des intimes. Comme les noms de personne, les comportements, les registres de langage et les termes d'adresse sont différents suivant les groupes d'appartenance de l'individu et contribuent à maintenir la relative étanchéité de ceux-ci. Les termes d'adresse, de référence et d'auto-désignation, souvent empruntés au registre de la parenté, sont étudiés en montrant en particulier la dynamique des relations sociales qu'ils révèlent.