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Les recherches de Victor A. Stoichita visent à éclairer des questions anthropologiques à partir de l'étude des interactions musicales. Il s'intéresse en particulier à la manière dont les humains font exister des entités sonores en leur conférant une « qualité d'agent » (agency) autonome. Les rites de possession où des divinités s’incarnent au travers des sons dans des médiums humains sont des exemples assez connus de personification des sons. V. A. Stoichita s’intéresse surtout aux situations moins flagrantes (mais plus fréquentes) faisant apparaître dans les sons des êtres qui n’existent nulle part ailleurs. C’est un trait fréquent de l'expérience musicale des mélomanes européens notamment: les caractères émotionnels et moraux que ces derniers prêtent aux mélodies, la manière dont ils les personnifient parfois, les dimensions non-acoustiques de leur écoute (couleurs, textures, mouvements qu’ils estiment « entendre ») signalent des relations complexes et souvent paradoxales avec des entités dont l’ontologie déborde celle des simples vibrations acoustiques. Au croisement de l’anthropologie, de l’ethnomusicologie et des sciences cognitives, les recherches de V. A. Stoichita portent ainsi sur la manière dont des sons deviennent "inhabituellement agentifs" pour des auditeurs particuliers dans des contextes d’interaction spécifiques.
Auparavant Victor A. Stoichita avait travaillé sur les conceptions de la ruse chez les musiciens professionnels tsiganes de Roumanie (Fabricants d'émotion, 2008), et sur des thèmes connexes dont la virtuosité, la propriété intellectuelle, l'humour et l'ironie. Il a également publié en 2010 un manuel de chants tsiganes à vocation pédagogique (Chants Tsiganes de Roumanie, Cité de la Musique).
Victor A. Stoichita’s research aims to illuminate anthropological questions from the study of musical interactions. He is particularly interested in how humans give sound entities agency, thereby making them exist. Rites of possession where deities are embodied through sounds in human mediums are well-known examples of sound personification. Stoichita focuses in particular on the less obvious (but more frequent) situations in which sounds embody beings that do not exist elsewhere. This is a common feature of the musical experience of European music lovers especially: the emotional and moral characters that they attribute to the melodies, the way they sometimes personify them, the non-acoustic dimensions of listening (colours, textures, movements that we consider “hearing”) point to complex and often paradoxical relationships with entities whose ontology extends beyond that of simple acoustic vibrations. At the crossing of anthropology, ethnomusicology, and the cognitive sciences, Stoichita’s research concerns the way in which sounds become “unusually agentive” for certain listeners in specific contexts of interaction.
Victor A. Stoichita has formerly worked on the conceptions of ruse among professional Romani musicians from Romania (Fabricants d’émotion, ), and on the related themes of virtuosity, intellectual property, humour, and irony. In 2010, he published a manual of Romani songs (Chants Tsiganes de Roumanie, Cité de la Musique), to be used for pedagogical purposes (among music teachers, etc.).
Membre du comité de rédaction de la revue Terrain. Co-responsable de la rubrique « Questions » (2015-2017), responsable de la rubrique « Lectures et débats » (2018)
ANR Heritamus (projet européen ERA-NET). Responsable scientifique de la partie française
livre et CD audio
Ce livre reprend le fil de la ruse/malice, tel que je l'avais suivi dans ma thèse, mais en concentrant la discussion autour de quelques questions centrales. Quel lien peut-on établir entre l'appartenance ethnique des musiciens professionnels (majoritairement tsiganes) et la manière dont ils commentent leur activité? Comment le paradigme de la ruse se déploie-t-il en musique? Que permet-il de comprendre du renouvellement et de la permanence des structures sonores? Destiné à un public élargi, le livre s'accompagne d'un DVD multimédia comportant de nombreux exemples interactifs. Une description détaillée est disponible sur www.svictor.net/fabricants.
Existe-t-il un humour sonore ? Qu’il s’agisse de chansons comiques ou de formes théâtrales, la musique est souvent mêlée à des constructions humoristiques. Mais qu’apporte-t-elle au juste ? Ce volume propose des descriptions ethnographiques de différents cas d’humour sonore. Il aborde des répertoires, des pratiques musicales et des techniques d’une grande diversité géographique et culturelle. L’analyse porte sur les modalités propres au sonore et sur ses interactions avec d’autres registres expressifs comme le geste ou la danse. Quels sont les procédés utilisés dans le comique musical (parodie, caricatures, ironie, absurde, etc.) ? Comment les auditeurs les identifient-ils ? Comment l'humour apparaît-il (ou non) lorsque différentes cultures musicales se rencontrent ? Autant de pistes que ce volume explore afin de comprendre les différents processus impliqués dans le comique musical. L’ensemble des documents audiovisuels analysés dans les articles est disponible sur le site de la Société Française d’Ethnomusicologie à l’adresse www.ethnomusicologie.fr/ce26.
Quel que soit l’objet auquel elle s’applique – un tour étonnant, un motif compliqué, un solo très rapide, une acrobatie dangereuse, une machine particulièrement douée pour accomplir certaines opérations –, la virtuosité évoque une forme d’autonomisation et d’autocélébration de la technique, en même temps qu’une part de sublimation ou de dépassement de celle-ci. En empruntant des exemples à des univers qui sont rarement confrontés, ce numéro vise à montrer en quoi les « faits de virtuosité » permettent de penser de manière nouvelle la relation entre l’art et la technique. Contributeurs : Emmanuel Grimaud, Aurélie Helmlinger, Antoine Hennion, Graham Jones, Denis Laborde, Zaven Paré, Stéphane Rennesson et Denis Vidal
À l’heure où la propriété intellectuelle fait l’objet d’un large débat en France, et à l’échelle de différentes organisations internationales, comment se cristallise-t-elle dans différentes sociétés du monde ? Ce numéro interroge les notions clés liées au copyright et à la création, à partir d’analyses centrées sur la musique. Il rappelle les conditions historiques d’émergence des notions d’œuvre et d’auteur et la difficulté soulevée par leur extension à d'autres cadres culturels. Les études rassemblées dans ce numéro constituent des "ethnographies du copyright", au sens où chacune tente, à sa manière, de suivre au plus près les principes vernaculaires de la propriété des idées musicales. Elles détaillent pour cela des situations de performance, des marchés conclus ou des mésententes, dans leurs spécificités culturelles, mais aussi dans leur confrontation aux principes et pratiques, désormais mondialisés, de la propriété intellectuelle.
This paper reflects on the relation between "field" and "recording" in listening to "field recordings." It is rooted in the author’s experience as a student and, subsequently, a researcher in the anthropology of music. The paper strives to map the gap between academic and artistic conceptions of field recording by asking whether and how field recordings can be failed. The author’s own experience with the genre is indeed one of frequent disenchantment. The paper identifies different meanings of field, discusses how recordings are supposed to make those fields available to the listener, and asks whether in field recording "music" and "soundscapes" should be treated as different kinds of objects.
Many ethnomusicologists consider that their "field" recordings should also convey knowledge about the social and cultural context that lies beyond the immediate acoustic trace. But how exactly does one represent a "field" in an audio recording? And what is the relation between how music sounds in the ethnomusicologist’s recording, and how people on the "field" want it to sound? I will address these questions by comparing Speranța Rădulescu’s recordings of the brass band from Zece Prăjini with other recordings of the same ensemble. What "field" do the ethnomusicologist’s recordings reflect?
The authors of the initial proposal on "Postures of listening" reply to the comments received from Jérôme Dokic, Robert S. Hatten, Tim Ingold, Michel Kreutzer and Elizabeth Tolbert.
Depuis la seconde guerre mondiale, les recherches se succèdent en Europe et en Amérique du Nord pour exploiter les ondes acoustiques à des fins offensives. Dans cet arsenal « non-létal », la musique est convoquée comme un moyen efficace d’atteindre l’intimité psychique des personnes ciblées. Cet imaginaire menaçant est en lien étroit avec la psychologie comportementale, et avec le champ d’étude plus large de la manipulation sonore qui émerge à partir des années 1930 autour du théâtre, du cinéma et de la musique d’ambiance.
This essay identifies and describes three ways of listening that are available to all human beings. Beforehand, we argue that the concept of "sound", as borrowed from acoustics and commonly used in anthropology, is too vague and too limited. In order to be able to understand the full range of human auditory experiences as found in ethnography, as well as the social interactions which they afford, we propose a distinction of at least three postures of listening. We define these as "indexical", "structural" and "enchanted", by contrasting their interactional salience in various settings. The auditory "things" that exist for each of the three stances (their ontologies) are also shown to be different. This trichotomy provides a promising theoretical framework for some longstanding problems in anthropology. After discussing some critical questions and possible shortcomings of our model, we conclude by looking closely at one of these issues: the definition of "music" and its ethnographic relevance throughout the world.
Cet article décrit comment un genre musical – la manea – incite ses amateurs à des jeux relationnels empreints d'ironie. Il entend ainsi contribuer à la description de ce style de musique, d'apparition relativement récente et dont l'ethnographie reste parcellaire. Son objectif est aussi de contribuer à la compréhension de l'ironie, en tant que phénomène cognitif. Il propose d'étudier celle-ci aux limites entre musique et langage parlé, et à partir d'interactions réelles. L'intérêt pragmatique de l'ironie musicale est abordé dans la conclusion. À partir des propositions de M. Houseman pour l'analyse des rituels, il est suggéré que la manea ouvre un espace similaire de configuration des relations durables entre les participants.
This contribution describes how Roma professional musicians in Romania use electronic sound processing for live performances in various contexts. It focuses on four techniques – amplification, mixing, reverberation and echo – which are intimately linked in the practice of these musicians. The latter two effects are modeled on natural acoustic phenomena, but are used by the musicians to create sound environments with artificial, impossible or paradoxical properties. The article details how these techniques are used, in relation to the typical interactions between the musicians and their audiences. This leads to the argument that artificial echo and reverberation (building upon amplification and mixing) are used by Roma professional musicians as techniques to "enchant" both the performance places and the social relations which they host.
Cet article porte sur un type de virtuosité qui consiste à imiter des sons non musicaux dans le cadre de performances musicales. Il s'attache à décrire les modalités de ces moments d'acrobatie dans le bluegrass et la country music en Amérique du Nord. Pour mettre en lumière l'évolution historique de ce régime de virtuosité, l'analyse suit les transformations d'une mélodie particulière, connue sous le nom de Orange Blossom Special, qui reste à ce jour l'une des plus fameuses imitations de trains dans la musique nord-américaine.
Cet article explore les conceptions éthiques sous-tendant la pratique des musiciens professionnels tsiganes en Europe de l’Est, et plus particulièrement en Roumanie. Se présentant comme « fabricants d’émotion », les musiciens attribuent fréquemment leur succès économique à des valeurs comme la « ruse » ou la « malice ». Un bon musicien devrait être un « voleur intelligent », dans ses interactions avec les autres musiciens mais aussi avec les mélodies elles-mêmes. Les virtuoses jouent avec des « ruses » et celles-ci peuvent faire l’objet de « vols » entre musiciens.Ceux qui emploient le vocabulaire du vol ne condamnent pourtant pas ce comportement, et distinguent le vol des idées musicales de celui des biens matériels. Bien que les musiciens soient professionnels et considèrent la musique comme une activité commerciale, ils ne sont guère convaincus par l’utilité d’un système de copyright ou de « propriété intellectuelle ». Que signifie alors « voler » des ruses si personne ne les possède ? Comment cette habileté est-elle mise en rapport avec la créativité ? Quel est le modèle économique et moral de ces musiciens ? Comment interagit-il avec la notion de copyright ?
Catalogue de l'exposition « L'air du temps »
Le Gamelan Javanais est un orchestre essentiellement constitué de métallophones. Chaque gamelan possède son propre accord, qui caractérise son identité sonore par rapport aux autres gamelans de la même catégorie, comme une signature sonore de la communauté possédant l’instrument. La musique du gamelan se transmet par apprentissage et peu par écrit. Ce sont des aide-mémoires incomplètes mais riches en information. C’est dans ce cadre que s’inscrit notre travail et tente d’analyser un corpus quasi-exhaustif des pièces du gamelan Javanais en proposant deux stratégies croisées d’extraction de descripteurs pertinents.
Recensão: Susana Moreno Fernández, Salwa E. Castelo-Branco, Pedro Roxo and Iván Iglesias (eds.), Current Issues in Music Research. Copyright, Power and Transnational Music Processes (Lisbon, Edições Colibri, 2012), 232 pp., ISBN: 978-989-689-243-2
Sous la direction de B. Lortat-jacob
During the wars in Irak and Afghanistan, soldiers commonly listened to music in order to "motivate" themselves before action. Their most frequent choices to this effect were gangsta rap and heavy metal, with the latter being occasionally turned upon the opponents too as an acoustic weapon or torture tool. At a different end of the "motivational" spectrum, Norwegian terrorist Anders Behring Breivik reported listening to a selection of tunes in the preparation of his massacre and possibly also during its perpetration. His musical choices sounded radically different from metal and rap (which he despised as being "agressive"), yet they had also been previously associated with graphic violence in popular movies and video games. Beyond the demonstration that mainstream media interact with common imaginaries of violence, how do specific musics "work" in being motivational for specific kinds of confrontations? This presentation explores the hypothesis that the differences between the terrorist’s and the soldier’s playlists reflect the contrasted nature of their engagement with the opponent (rather than mere variations of individual taste). I will propose that music becomes motivational inasmuch as it provides a relational environment to forecast the encounter in a realm where extreme violence appears morally acceptable.
Que peuvent avoir en commun une équipe de neuroscientifiques canadiens, des soldats américains stationnés en Irak, un terroriste norvégien, des mystiques soufis en quête d’union divine et des bergers éthiopiens pris dans une spirale de vendetta ? Parmi les réponses possibles, nous nous intéresserons à leur manière de partager une idée : des sons, bien choisis, pourraient modifier l’état psychique et somatique d’autrui avec ou sans son consentement. Cette hypothèse a une longue histoire en Europe, et l’ethnographie montre qu’elle se décline de différentes manières à travers le monde. Elle fonde tantôt des espoirs thérapeutiques, tantôt la crainte que les sons n’induisent des effets pathogènes ou n’accomplissent sur les âmes sensibles d’insidieuses manipulations. Dans cette séance, nous discuterons de quelques manières d’investir les sons de telles capacités transformatrices, et tenterons d’en esquisser une typologie.
I'm the big boss, clever and smart, rich like an emperor, women at my feet, my enemies die of jealousy!" In Romania, manele songs have been popular ever since the fall of the communist regime. They are sung by Roma professional musicians, mainly for non-Roma audiences. Manele lyrics often portray in a positive light debatable attitudes such as quick money making, lust and sensuality, violence or mafia arrangements. Romanian listeners tend to locate their musical features either towards "the East" or towards "the Gypsies". Not surprisingly, manele are rejected (in often violent terms) by a significant part of Romania's public opinion. The genre enjoys nevertheless a large and popular audience. It has been a steady feature of Romanian cultural landscape for more than twenty years now. An ethnographic approach reveals that manele lovers often have ambiguous relations with the literal contents of the songs. (Self-)irony and (self-)parody seem to play an important role in their interactions during live manele performances. I will illustrate this with examples based on my fieldwork in Bucharest in 2009-2010. The discussion will focus on the recognition of irony and its effects. Experiments in cognitive science and psycholinguistics have led to various descriptions of its inner workings. This kind of research may also be useful to understand how the music can "open up" verbal and non-verbal interactions for humorous, "light" and ironic understandings
En 2004, quelques mois après l’adoption par l’Unesco de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, la Maison des Cultures du Monde créait la Journée du PCI afin de promouvoir et d’interroger cette nouvelle catégorie patrimoniale. La ratification de cette convention en 2006 par la Roumanie, vingtième État signataire, permettra l’entrée en vigueur au niveau international de ce texte, ratifié par la France la même année. Pour cette 15e édition, chercheurs, représentants d’institutions et praticiens, de France et de Roumanie, partageront leurs expériences et réflexions sur le patrimoine immatériel des Tsiganes, en particulier musical, s’agissant de sa transmission et de ses évolutions, de ses représentations, appropriations et usages, ainsi que de son traitement patrimonial notamment dans le cadre de dispositifs internationaux comme la Convention de 2003 telle que mise en œuvre dans les pays de résidence de cette minorité transnationale.
La conférence présentera d’abord quelques données sociologiques sur ceux qu’on appelle couramment les « Roms ». Elle décrira en particulier leur histoire et leur statut en Roumanie. Dans un second temps, nous aborderons les pratiques des musiciens professionels devenus emblématiques de ces communautés (les lăutari) . Au travers de nombreux exemples audiovisuels, nous illustrerons notamment le sens des notions de « ruse » (şmecherie) et de « vol intelligent » (ciorănie) aux sources de la créativité et de l’efficacité musicales. Enfin, la conférence abordera les chants nettement moins connus des musiciens tsiganes non professionels. À partir de l’ouvrage Chants tsiganes de Roumanie (2010, Cité de la Musique) elle indiquera quelques pistes d’utilisations pédagogiques de ce répertoire en contexte scolaire.
Existe-t-il des « super-sons », ondes sonores susceptibles d’agir sur nos corps et esprits ? La question fait débat depuis l’Antiquité. Revue des hypothèses sur la question.
Cette interface accompagne le livre du même nom publié par E. Amy de la Bretèque aux éditions Garnier Classiques
La SFE est une société savante hébergée au musée du Quai Branly. C'est la principale association professionnelle des ethnomusicologues francophones.
Artmap est un groupe de chercheurs en anthropologie et disciplines voisines, qui existe depuis 2004 (soutenu par l'ANR de 2004 à 2008)