Avec Véronique Truffot
L’ombwiri est un culte gabonais et fang qui se pratique essentiellement dans la capitale gabonaise, Libreville, et dans la province de l’Estuaire. Côté féminin du bwiti fang, le culte se décline en de nombreuses branches mais toutes ont en commun une place centrale accordée à la harpe ngoma autour de laquelle se construit le rituel. L’instrument sacré est avant tout considéré comme la maison qui abrite l’esprit tutélaire Nana ngom’ening. Les qualités sonores de l’instrument, quant à elles, permettent au béti – le harpiste – de « faire parler » l’esprit, par l’intermédiaire de ses doigts mais aussi de sa voix. C’est alors une polyphonie de vocalités qui se manifeste où s’entremêlent les voix humaines et non-humaines. Pour garantir leur agentivité, toutes les expressions vocales sont mobilisées durant le ngozé, la cérémonie rituelle : chants, paroles, cris et interjections. Mais dans tous les cas, la voix est indissociable de la danse et plus globalement du corps. Le caractère tautologique de ce constat n’exclut néanmoins pas sa pertinence, car il s’agit de la condition sine qua non pour établir la communication entre humains et esprits. La relation qui les unit est par ailleurs basée sur la réciprocité. En effet, si les esprits sont dotés de capacités surhumaines et surnaturelles, ils sont aussi sans voix et sans corps, ce qui entrave la manifestation de leurs pouvoirs. Par conséquent, ils ont autant besoin des humains que l’inverse. Ainsi, chanter, parler et danser, et le faire « comme si c’était le dernier instant de sa vie » – pour reprendre les paroles d’un béti –, représentent l’essence de la pratique rituelle. S’en tenir à cette matière serait certes suffisamment riche pour étayer mes recherches et ma thèse en cours, mais ce serait me résoudre à une lecture partielle de ce que dit cette polyphonie de vocalités. Dans le processus d’enchâssement qui caractérise l’ombwiri, il y a des voix plus opaques que d’autres. La plus puissante est une méta-voix immatérielle mais pourtant bien présente qui s’infiltre dans toutes les strates de la société gabonaise sans épargner le domaine rituel. À la fois muette et tonitruante, elle résulte de la rencontre entre trois phénomènes. Le premier, endogène, est la sorcellerie, les deux autres, exogènes, sont le colonialisme et le christianisme, auquel s’ajoute désormais le capitalisme. Mon hypothèse est que cette voix n’a pas seulement contaminé les humains mais aussi les esprits. Comment a-t-elle impacté les états de corps et de voix mobilisés dans l’ombwiri ? C’est là l’énigme centrale autour de laquelle je déroulerai mon intervention lors de ce séminaire, tout en partageant mes premiers éléments de recherche et, bien plus encore, les questions qui en émergent.
Le séminaire du CREM (Centre de recherche en ethnomusicologie) a lieu deux lundis par mois, de 10h à 12h. Les chercheurs (doctorants compris) membres du CREM ou invités de passage y présentent leurs travaux en cours. Les présentations durent 50 minutes, et sont suivies d’une pause café et d’une heure de discussion.
Occasionnellement, le séminaire prend la forme d’un atelier rassemblant plusieurs chercheurs autour d’un thème commun. Il dure alors un après-midi ou bien une journée complète.
La participation au séminaire est ouverte à tous. Il fait par ailleurs partie du cursus des Master d’ethnomusicologie des universités Paris Nanterre et Paris 8 Saint-Denis.